Le Musée de l’Education : quelle temporalité muséographique?

Le Musée de l’Education : quelle temporalité muséographique?

(par Mokhtar Ayachi)

          Au Musée national de l’éducation à Tunis, le temps n’est ni figé, ni seulement linéaire. Il est reconstruit entre ses deux pôles négatif et positif (de l’avant et l’après J.-C.). La périodisation commence à partir de 1101 av. J.-C. (date de l’apparition de l’alphabet phéni- cien au Comptoir d’Utique, fondé à cette époque non loin de ce que deviendra Carthage). Le visiteur est amené à faire un va-et-vient continu dans une tempo- ralité de longue durée au sein d’un espace didactique interactif. Les contenus exposés forment des repères guidant la mémoire collective dans une quête de réappropriation d’un temps scolaire, le plus souvent intime, voire affectif.

          Visiter ce musée, c’est faire connaissance avec un univers accueillant conçu architecturalement pour une muséographie moderne, agencée dans un espace multifonctionnel à la fois clos et ouvert. Dans ce lieu, les sons du patrimoine musical universel accompagnent le visiteur dans tous les rayons éclairés par la lumière naturelle, et le plongent dans un autre temps : celui du patrimoine éducatif dans son immuabilité baignant dans une aire culturelle méditerranéenne formant une synthèse de civilisations aux six alpha- bets que les 1.400 kilomètres de côtes (tunisiennes) ont connus. Une vraie odyssée des cultures qui a inspiré les réflexions « braudeliennes ».

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Reconstitution d’une salle de classe moderne.

          L’animation culturelle, réalisée le plus souvent en ateliers, dans un espace doté de multiples médias, est l’occasion de véritables activités didactiques. Le public, particulièrement scolaire, en est d’autant plus réceptif, et apprivoise ainsi mieux la permanence du temps éducatif, en saisissant ses deux extrémités (le passé devient un temps allié du futur et de ses projets innovants).

          Ce musée permet d’appréhender ou de fréquenter autrement le temps, qu’il soit historique ou présent (voire futur), à travers un mouvement temporel continu chargé d’émotion ; on y acquiert une posture comparative entre jadis et aujourd’hui, ainsi qu’à travers les générations et leurs rapports à l’école et à la vie scolaire. Cette visite dans le temps est balisée de repères constitués de mille et une choses : du bol de lait chaud servi (jadis) à l’ouverture des classes, aux plumiers et encriers, aux cahiers de roulement, aux buvards, à « 1 300 problèmes », aux « leçons de choses », aux manuels de lecture et aux représentations enfantines de gravures.

          En visitant ce musée, on parcourt avec nostalgie des petits reliefs de la mémoire scolaire et on caresse des souvenirs intenses qui ressurgissent à chaque coin des espaces d’exposition. Le musée met par ailleurs en relief diverses représentations de choses scolaires et des rapports plus ou moins affectifs avec nos anciens maîtres et maîtresses d’école. En un mot, visiter ce musée, c’est ressusciter un temps chargé de valeurs éducatives, où le maître ou la maîtresse adorée se subs-tituait au père ou à la mère. La vénération de l’école, de ses éducateurs ainsi que de son savoir transcende le temps vécu dans sa permanence culturelle.

          Le temps scolaire, à travers ses symboles et repères transcrits des six alphabets que la Tunisie a connus depuis l’époque phénicienne jusqu’aux cursus de l’enseignement traditionnel puis ceux de l’enseigne- ment moderne, trace ainsi, dans son étendue de tolérance et de diversité culturelle, la trajectoire balisant la topographie de la mémoire collective nationale. Ce temps aussi bien scolaire qu’éducatif permet d’en découvrir les reliefs à travers les différents supports didactiques utilisés jadis et exposés soigneusement avec notices explicatives.

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Espace d’exposition permanente de supports didactiques

          Enfin, visiter le Musée national de l’Éducation à Tunis, lieu de ressourcement, de nostalgie, mais aussi de rêve, ne constitue pas seulement une occasion d’immersion dans les diverses représentations, mais plutôt de contemplation créative, d’inspiration… Cette visite permet aussi, parallèlement aux cours d’his- toire qu’elle complète, de favoriser la sensibilité historienne, voire le développement d’une conscience citoyenne éclairée, à travers la dialectique : passé/ présent/futur, trois moments, trois temps qui se rejoignent en symphonie dans chaque réflexion concernant une causalité ou une perspective.